Avant la guerre de 1939-1945, l’église de Kervignac était une charmante église paroissiale gothique en granit apparent, comme on en voit tant en Bretagne. Consacrée à Saint Pierre et Saint Paul, elle était classée « monument historique ». Les échanges d’artillerie entre la garnison allemande de la poche de Lorient et les troupes franco-américaines de libération ont eu raison de sa belle architecture, comme de tout le village ou presque.
Reconstruire l’église à l’identique aurait coûté des sommes exorbitantes et la décision a vite été prise de débarrasser la place de tous ses gravats anciens et d’y construire, cette fois en béton et autres matériaux économiques, une église neuve dès que les indemnités payées par l’Allemagne au titre des dommages de guerre pourraient le permettre. Il a fallu attendre, cependant, une dizaine d’années pour qu’enfin ces indemnités puissent être débloquées et affectées à la reconstruction de l’église. C’est donc en 1956 que, après consultations, le cabinet d’architecture lorientais de Henri Conan et René Delayre fut désigné pour présenter des projets pour une église paroissiale qui, cette fois, serait consacrée à Marie, la Vierge de douleur, « Notre-Dame de Pitié ».
Responsable de cet ouvrage, René Delayre avait d’abord présenté des croquis et même réalisé une maquette d’une église toute ronde recouverte d’un dôme surmonté d’une croix romaine. Le clocher était alors prévu en un campanile séparé de la rotonde, à une dizaine de mètres de distance, sur la place. Mais l’idée n’avait pas plu aux autorités religieuses qui y voyaient plus une mosquée qu’une église. Et Monsieur Delayre avait finalement obtenu leur adhésion sur le sixième avant-projet qu’il leur avait adressé : une élégante église en forme de croix grecque à branches très courtes pour assurer à tous les fidèles assis dans la nef une visibilité parfaite sur le maître-autel. Il a eu, en outre, la belle idée de concevoir une toiture cruciforme en ardoises du pays, évidemment, et reposant sur une aérienne charpente entièrement faite de béton et esthétiquement mise en valeur par un habillage de frisette de sapin clair entre toutes ses fermes. A l’extérieur, les branches de la croix grecque, sous la charpente, étaient fermées par des pignons en formes de triangles isocèles uniformément crépis d’un blanc immaculé à l’exception des deux rosaces qui perçaient seulement les pignons est et ouest.
Le béton qui constituait les murs porteurs, tout autour de l’église était habillé de dalles décoratives en granit mince, alternativement gris et rose pour former un heureux effet de rayures horizontales. Habillé de la même manière, le campanile était encastré dans le creux d’un des angles de la croix grecque. Il était surmonté d’un beffroi ajouré de clayettes de béton et lui-même coiffé d’une flèche, de section carrée, joliment dentelée de chevrons, encore de béton.
Et, surtout, Monsieur Delayre avait eu la géniale inspiration d’imaginer une frise complète de 106 petits vitraux de 1,30 x 0,60 m faisant le tour complet de la nef (sauf contre le campanile qui les aurait occultés) et s’intercalant entre le mur vertical de la nef et l’ensemble de la toiture, fermée par ses quatre pignons triangulaires. Ainsi cette frise de lumière polychrome, cette bande dessinée géante, donnerait l’illusion de supporter elle-même toute la toiture de l’église.
Enfin, pour honorer son porche d’entrée principale, exceptionnellement percé au nord de l’édifice, Monsieur Delayre lui avait conçu un narthex austère mais sobre, devant abriter, comme il se faisait souvent au Moyen Âge, les statues des douze apôtres de Jésus-Christ.
Si le célèbre maître-verrier Gabriel Loire a parfaitement réussi son œuvre dans l’esprit de ce qu’attendait l’architecte, on peut en dire tout autant du sculpteur breton Bernard des Abbayes qui a magnifiquement rempli avec ses apôtres les niches que leur avait dessinées René Delayre pour son narthex.